Méditations sur Johnny

Non mais. Sérieux. Johnny.

Johnny partout, à la télé (enfin, il paraît, j’ai bazardé la mienne il y a longtemps), dans les journaux, à la radio (même sur des ondes qui auparavant ne le diffusaient jamais, j’ai vérifié), et bientôt en tournée post-mortem sur les Champs-Elysées, avec illumination sur la Tour Eiffel de bon aloi (une banque suisse paie, probablement…)

Je crois que les non-fans attendaient la mort de Johnny avec plus d’appréhension que les fans. Parce que les fans, une fois leur Idole trépassée, doivent retirer une certaine satisfaction narcissique à ce qu’on ne parle que d’Elle sur toutes les chaînes H24 et qu’on vienne les interviewer dans la rue. Moi aussi, si Dylan canne un jour (mais il est immortel, que dis-je, hors du temps, son décès physique ne consisterait qu’en une dérisoire altération matérielle de son existence incommensurable),  j’aimerais bien que des hordes de journalistes viennent me demander de témoigner de l’ampleur de mon indéfectible dévotion et de mon insondable chagrin, mais bon, ça n’arrivera jamais.

Les non-fans redoutaient l’étalage continu d’éloges funèbres ridicules et les rediffusions en boucle de chansons un peu pourries. Et l’hystérie dépassa nos craintes.

Hommage national ! Président, ex-Présidents, députés et autres qui pleurnichent dans les studios, à l’Assemblée, sur les réseaux sociaux au nom de « la France » et de « chacun de nous » ! Injonction à se lamenter tout en célébrant le « héros » Johnny (c’est Macron qui l’a dit), récupération de cadavre pour cogner sur l’opposition politique (Mélenchon n’est pas gentil), déni collectif devant la « qualité » de l’œuvre. Qui ne pleure pas Johnny n’est pas Français. Si Johnny est « populaire » (apparemment pas suffisamment, puisqu’on intime l’ordre à ceux qui ne rentrent pas dans le rang de faire au moins semblant de se recueillir), c’est donc que c’est génial. Ou qu’il y a des voix et du temps de cerveau disponible à marchander.

Prenons un exemple un peu casse-gueule. Comme des millions de gens, je suis fan de Star Wars (enfin, la Trilogie Originale, non remasterisée et tout, j’ai un minimum de goût), ça n’en fait pas pour autant un chef d’œuvre du cinéma (quoique, pour L’Empire Contre Attaque, ça se discute, en forçant un peu). Au fond, « cinématographiquement » parlant, Star Wars, si l’on excepte l’impact culturel, c’est pas terrible. (Ou alors, on range directement 50 Nuances de machin aux côtés des sommets de la littérature.)

Eh ben, Johnny Hallyday, musicalement, c’est encore pire. Car Johnny Hallyday n’a exercé aucune influence sur la musique rock internationale. Car il n’a rien inventé. Car ce n’est même pas du rock. Car il se prétend affilié au blues alors qu’il ne sait visiblement pas ce que c’est. Car sa musique n’aura rien apporté de CULTUREL, d’esthétique, de bizarrement beau contrairement à un Brel, pour rester dans l’espace francophone. Quand Aurore Bergé, députée macroniste de triste réputation, compare Johnny à Victor Hugo, elle fait honte à l’intelligence collective. Quelle est la contribution de l’Idole à l’histoire philosophique, artistique et politique de notre pays ? Pourquoi des député-e-s s’autorisent-ils une standing-ovation religieuse au cœur même de l’Assemblée ? Pourquoi inventer que monsieur Johnny a lancé la carrière de Jimi Hendrix (la vache, ce degré de chauvinisme merdeux) ?

L’Histoire se souviendra de Hendrix, pas de Hallyday. De celui-ci, on retiendra la glauque comédie qui a entouré son cercueil. L’ « œuvre » sera oubliée, l’ « artiste » qui n’en demandait pas tant gentiment raillé.

Et le jour de l’hommage national (ils ne veulent pas endeuiller la Terre entière, pendant qu’ils y sont ?), je poserai un bon Johnny sur la platine, un Johnny qui connaît le blues, lui.

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